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Notre situation est étrange actuellement, et je me suis demandée si ça valait le coup de continuer à vous parler de maroquinerie et autres sujets qui peuvent paraître bien futiles aujourd’hui. En plus, je me suis sentie un peu désoeuvrée, l’herbe coupée sous le pied, je ne savais plus trop par quoi continuer pendant ce premier mois de confinement
La réponse m’est arrivée par mon fils cette semaine. Je suis à la fois salariée et en micro-entreprise pour la maroquinerie. Mon activité salariée me permet d’être en télétravail actuellement. Un soir, j’avais officiellement terminé de travailler, mais je suis restée assise derrière mon bureau-salle à manger. Mon fils m’a demandé d’expliquer quelque chose à un de ses copains, sur son téléphone. Pendant que je m’exécutais, mon adolechiant a subtilisé mon portable, m’a filmé avec, et posté en story sur Instagram… Avec le commentaire « elle fait semblant de travailler ». Je n’ai rien vu. J’ai découvert cette story lorsque j’ai reçu les premiers commentaires, quasiment que des personnes « mdr »… J’ai voulu effacer la story, mais beaucoup m’ont dit « non, ça nous met de bonne humeur parmi ces tristes temps, et c’est fait avec amour ». Alors j’ai laissé. Et ce qui est aussi amusant, c’est une de mes stories qui m’aura valu le plus de réactions.
Alors ça m’a décidé à continuer à poster mes petites explications de maroquinerie, parce qu’après tout, un peu de normalité ne fait pas de mal aujourd’hui.
Dans mon post précédent, j’expliquais le gabarit et le prototype. Aujourd’hui, je vais vous parler de la coupe du cuir. Ca peut paraitre anodin, mais une coupe mal exécutée donne un résultat médiocre à votre article car le montage ne sera pas parfait, et c’est difficilement rattrapable. Tout comme le gabarit, la coupe doit être précise. Plusieurs manière de l’exécuter :
- A l’ancienne, manuelle, avec une pointe de coupe.
- Pour des séries, avec des moules à frapper, ou à utiliser avec une presse
- Avec les dernières technologies : avec la machine laser, ou avec les imprimantes Cricut ou Silhouette.
La coupe manuelle
Cette partie va être la plus longue, car c’est celle que je connais le mieux, et que j’utilise.
Comme son nom l’indique, on utilise sa main, prolongée d’un outil tranchant. On coupe le long du gabarit, ou du réglet, tout simplement. Tout en étant le plus précis, le plus adroit possible. Eviter les arrêts dans la coupe, pour avoir une coupe nette. Garder la lame perpendiculaire au réglet ou au gabarit pour ne pas avoir une coupe inclinée sur le cuir. Une ligne droite, on va dire que ça va. Mais lorsqu’on attaque les arrondis, on apprend à mobiliser tout le corps, et on comprend pourquoi il vaut mieux être debout devant son établi pour certaines tâches. Parce que le mieux, n’est pas de bouger l’objet qu’on coupe, mais plutôt de bouger uniquement sa main pour couper, et donc parfois on est obligé de prendre des poses inédites. Et chose essentielle : son outil tranchant doit être entretenu, la lame affûtée.
Les outils justement
- l’Indispensable, une sorte de cutter qui s’affute
(source : Vergez Blanchard) - Le cutter.
- Le couteau à pied. On l’utilise plus en sellerie harnachement, mais en maroquinerie il est très utile pour les cuirs épais ou pour les surcoupes (partie de cuir à rogner après l’encollage et la couture, pour avoir la taille définitive de notre article)
(source : Vergez Blanchard) - Les ciseaux, bien que moins précis que les précédents outils. Ceci dit, j’ai eu l’occasion de tester des ciseaux spéciaux pour le cuir à tannage végétal (assez dur à découper), et le résultat était vraiment pas mal.
- le couteau mécanique, ou le coupe-bande

- le massicot, une table de coupe, comme pour le papier, mais là, pour couper les bandes de cuir.
- le compas à rondelle
(source : Vergez Blanchard ) Cet outil ancien, est plus utilisé en bourrellerie. Il y a un article plus détaillé sur le site Objets d’hier .
Un petit aparté : je cite beaucoup Vergez Blanchard dans mes sources. C’est LA référence française depuis le XIXème siècle pour les outils du travail du cuir. Aujourd’hui il existe bien évidemment d’autres fabricants d’outils, mais pendant mon apprentissage, et lors de mes recherches, c’est la marque d’outils qui est le plus revenue, donc je l’ai utlisée.
Personnellement, je n’utilise que le cutter et le coupe-bande. J’ai appris à couper les différentes formes, y compris les longues bandoulières, avec le cutter, donc on va dire que tout est possible avec un seul outil. Mais il faut garder en tête qu’il est quand même essentiel de choisir l’outil adapté à l’épaisseur de matière à découper. Et pour finir sur ce chapitre, couper du cuir ouvre les sens : le toucher, l’odorat, et l’ouïe. Je vous assure, on est beaucoup à aimer le son que fait le cuir lorsqu’on le découpe mdr.

La coupe mécanique
En usine, et même aussi pour un petit artisan, le temps est primordial. L’aide de machines diverses est donc bienvenue pour accélérer sa production et répondre à la demande.
Ces machines sont assez onéreuses, aussi, pour des artisans indépendants ou de petits ateliers, il est possible de se rendre dans des ateliers de location de machines afin de pouvoir travailler au mieux. En général, on loue du temps d’utilisation à l’heure, et le prix varie selon la machine utilisée car certaines peuvent demander un temps d’étalonnage, de préparation.
Plus haut, j’ai parlé du coupe-bande manuel, mais il existe aussi la machine à couper en bande, ou « diviseuse ». Elle sert pour la coupe de ceintures et bandoulières.
source photo Mister et Mrs Belt
Pour couper d’autres pièces de cuir , on peut utiliser une presse hydraulique. Il en existe de diverses tailles, selon les besoins et exigences des entreprises qui les utilisent, de la simple avec un bras tournant, à la plus évoluée, rapide, et/ou grande, avec un pont mobile. Ces presses s’utilisent avec des moules, ou plus exactement, des emporte-pièces.
(source photos : Hello Pro )
L’emporte-pièce est une reproduction du gabarit, placée sur le cuir. On le frappe au maillet, ou on appuie dessus avec la presse hydraulique. C’est comme les emporte-pièces de biscuits qu’on place sur la pâte à découper pour schématiser. Les emporte-pièces que l’on frappe au maillet sont souvent pour des petites formes, comme les mortaises (le trou pour plier la ceinture et poser l’ardillon de la boucle), les pointes de ceinture, les bracelets de montre. Ils sont plus vus comme des outils spéciaux que des emporte-pièces en fait. Les emporte-pièces qu’on utilise à la presse sont plus grands, comme des moules (oui j’aime aussi cuisiner d’où mes références culinaires), pour découper des porte-cartes, côtés de sacs, ou des rabats par exemple.
(sources photos : les 2 premières viennent d’Amazon, et la dernière, de l’entreprise adaptee, qui emploie des travailleurs handicapés dans le secteur de la découpe de pièces, de la logistique et du conditionnement)
Il existe bien évidemment d’autres types d’emporte-pièces, et de diverses matières. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à vous rapprocher de fabricants d’emporte-pièces, comme Les Emporte-Pièces du Marais à Paris. Selon vos besoins ils vous fabriquent l’emporte-pièce adéquat, à partir de vos dessins, gabarits etc. Et ils pourront vous en dire plus que moi à ce sujet.
Les coupes que j’appelle technologiques
Il s’agit ici de coupe numérique. On part de notre gabarit créé sur l’ordinateur, à l’aide de logiciels comme Adobe Illustrator, ou plus adapté à la maroquinerie, Mozart par exemple. On envoie le dessin vers la machine et il n’y a plus qu’à attendre la fin de la découpe.
La machine peut être à découpe laser ou à lame vibrante.
Ces machines sont bien sûre onéreuses mais tendent à se développer pour les particuliers ou petites entreprises. Elles offrent un gain de temps non négligeable, une découpe précise, et surtout, on peut modifier à souhait son gabarit sans le perdre puisqu’on l’enregistre sur notre ordinateur. On peut être hyper réactif à la demande, et pour tester son prototype, c’est loin d’être négligeable.
Comme je le disais, les machines lasers sont assez chères, mais il est possible d’en utiliser dans des fab-labs ou des ateliers de locations. Je sais qu’il existe des petites machines lasers sur les plateformes chinoises d’achat, mais je ne sais pas trop ce qu’elles valent, et je me dis que quite à m’acheter une machine laser, j’aimerais une machine qui me permette de découper d’assez grandes formes pour faire des sacs, et pas que de la petite maroquinerie. Donc à suivre pour l’usage de ces machines.
Et sinon, il y a les machines à lame vibrante, qui reçoivent le gabarit à partir de l’ordinateur également. Et là, il existe un marché pour les particuliers ou les petits artisans : les petites imprimantes de loisir créatif, comme la Silhouette Caméo ou la Brother Cricut. Au départ pour le scrapbooking, elles s’adaptent parfaitement à la découpe de cuirs fins. On en est encore aux balbutiements de ces méthodes de découpe mais je pense qu’on va vers un bon développement de ces machines dans un avenir proche tellement les avantages sont nombreux.
Ellen Valentine de Leatherwork School a testé la Brother Cricut dans cette vidéo https://youtu.be/Cdnkkfc5ThU C’est en anglais, mais la vidéo est assez parlante pour ne pas avoir besoin de comprendre ce qu’elle dit.
Si on reste dans le domaine du loisir créatif, j’aurais pu vous parler des mini-presses à découper comme la Big Shot de Sizzix, ou la Accuquilt. Elles sont relativement abordables et pour avoir la Big shot, je peux vous dire qu’elles découpent bien le cuir fin. Mais c’est plus pour des petites pièces de décoration, des petits accessoires, et on est limité dans la créativité car on ne peut pas créer ses propres emporte-pièces, il faut les acheter auprès des marques respectives. On peut être ingénieux en se servant des divers moules fournis pour faire des assemblages, mais ça n’apporte peut-être pas de gain de temps au final. Sara Lawson de Sew Sweetness a fait un partenariat avec Sizzix et a donc créé des emporte-pièces pour ses patrons de trousses et porte-monnaie. Mais c’est plus axé sac cousu que maroquinerie.
Vous l’aurez donc constaté : la découpe du cuir valait bien un post à elle seule tant il y a à dire. Et pourtant, j’ai essayé de simplifier au maximum et de ne pas trop rentrer dans les détails. Il faut retenir qu’il faut s’équiper selon les matières à découper, et surtout s’entraîner pour acquérir la dextérité nécessaire, que ce soit en coupe manuelle qu’en coupe numérique. D’un côté, la main doit acquérir le bon geste, d’un autre, on doit s’approprier les logiciels. Comme pour tout, c’est une question de pratique.
Pour finir, je voudrais ajouter que je vous décris là ce que j’ai appris en France, en maroquinerie française haut de gamme. Vous trouverez sûrement des images ou vidéos où le maroquinier découpe avec d’autres outils, comme le couteau à parer par exemple. C’est une façon de faire. Il faut de toutes les façons prendre en compte que la maroquinerie a des apports de divers travaux du cuir, comme la sellerie ou la bourrellerie. Il n’y a donc pas une seule façon de faire, et différents termes peuvent désigner un même procédé. Le sujet est vaste et passionnant. Mais je vais m’arrêter là sous peine de vous perdre mdr.
La semaine prochaine je vous parlerai de refente, parage et astiquage. A bientôt.
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